Au cœur de la ville d’Arras se cache un trésor historique, l’ancien refuge de l’abbaye Saint-Vindicien du Mont-Saint-Éloi. Unique vestige civil privé de la fin du Moyen Âge encore partiellement conservé à Arras, ce lieu témoigne de l’histoire mouvementée de la région. Aujourd’hui, il ne reste qu’une partie de cet ensemble monumental, mais son histoire mérite d’être redécouverte, tant elle est riche de faits historiques et de symboles du passé.
L’hôtel de Chaulnes : Un fief de pouvoir et de protection
L’histoire du refuge débute au XIIIème siècle, lorsque l’hôtel de Chaulnes voit le jour. Ce nom est hérité d’une influente famille noble dont le fief, le « pouvoir de Chaulnes », a joué un rôle notable dans l’histoire locale jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Véritable forteresse adossée aux remparts qui séparaient alors la Ville et la Cité, cet édifice s’étendait depuis la porte de Cité jusqu’au moulin du Wetz d’Amain. C’était un symbole de puissance et de protection, dominant la région et surveillant les environs. Sa fonction dépassait celle d’un simple hôtel particulier : c’était un refuge en temps de troubles, conçu pour résister aux conflits qui ont traversé les siècles.
Cet édifice, aujourd’hui disparu en grande partie, révèle néanmoins encore quelques traces de sa splendeur passée. La porte d’accès du XVIème siècle, dernier témoin de cet ensemble, permet d’imaginer la grandeur de l’architecture du Moyen Âge. Cette porte, seul vestige encore debout, s’ouvrait autrefois sur une vaste cour intérieure autour de laquelle s’organisait l’ensemble des bâtiments. Sa conservation et son inscription comme Monument historique en 1929 témoignent de l’importance patrimoniale de ce site. Elle incarne la transition architecturale de l’époque, où l’on observe le passage d’une construction purement défensive à des structures plus résidentielles, tout en conservant le caractère fortifié.
Le refuge des abbés : Un lieu de sauvegarde en temps de guerre
L’histoire du site prend un tournant en 1434, lorsque Jean Bullot, abbé de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi, acquiert l’hôtel de Chaulnes. À cette époque, les guerres et les troubles secouent fréquemment la région, mettant en péril les communautés religieuses et leurs biens. Conscient de ces dangers, l’abbé décide de transformer l’édifice en un refuge pour protéger la communauté et ses trésors en temps de guerre. Cette initiative illustre une pratique courante chez les ordres religieux à cette période : Édifier des lieux fortifiés capables d’abriter non seulement les moines, mais également les manuscrits, les reliques et l’ensemble des richesses accumulées au fil des siècles. Dès lors, le refuge devient un symbole de sécurité et de résistance face aux menaces extérieures.
L’ancien refuge de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi ne fait pas exception à la règle, puisqu’il servait de bastion aux moines pour résister aux agressions. Les moines du Mont-Saint-Éloi, détenteurs de nombreux biens, avaient besoin de ces lieux fortifiés pour prévenir les pillages et les destructions, surtout dans une région qui a longtemps été le théâtre de conflits armés. Mais ce refuge ne se limitait pas à une simple fonction de protection physique. Il illustrait également les liens étroits entre les communautés religieuses et la noblesse locale, qui voyait dans ces édifices un moyen de consolider leur pouvoir. Les abbés, en fortifiant leurs domaines et en installant des refuges au sein des villes, renforçaient leur influence sur les terres alentour. Dans le cas d’Arras, ce refuge devient une véritable forteresse sacrée, adossée aux remparts, symbole de la puissance spirituelle et temporelle de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi.
Cette pratique de la construction de refuges par les abbayes n’est pas propre à Arras. Partout en France, les abbayes, conscientes de la fragilité de leurs possessions en temps de guerre, érigeaient des bâtiments solides dans les villes proches pour servir de lieu de repli. Ces refuges étaient souvent dotés d’une architecture défensive : hauts murs, portes fortifiées, tours de guet, permettant non seulement de stocker les biens précieux, mais aussi de tenir tête aux assaillants en cas de siège. Loin d’être de simples annexes, ces refuges étaient des extensions du pouvoir des abbayes. Certains, comme ceux des abbayes de Cluny ou de Cîteaux, possédaient des terres, des granges et des cours, formant de véritables petites enclaves au cœur des villes. Ils permettaient également aux abbés de s’affirmer comme des seigneurs, tenant un rôle clé dans l’administration de leurs domaines et dans la gestion des relations avec les autorités locales. Ainsi, la fonction de ces refuges dépassait le cadre strictement religieux, s’inscrivant dans un contexte plus large de lutte pour le pouvoir et la préservation des privilèges.
Le refuge de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi, en devenant un bastion face aux tumultes de l’époque, s’inscrit donc dans cette tradition. En son sein, il abritait non seulement les moines, mais aussi des documents et des reliques inestimables pour l’histoire locale. Le choix de cet emplacement à Arras n’est pas anodin : en s’installant dans un lieu stratégique, l’abbaye renforçait sa présence et son influence dans la région. Cette fortification offrait une sécurité à l’abbaye dans un monde où la stabilité politique et sociale était loin d’être acquise. De plus, elle incarnait une volonté de perdurer, de protéger le patrimoine religieux contre les aléas du temps. Les moines, en bâtissant ce refuge, manifestaient leur détermination à préserver leur héritage et leur rôle spirituel, quoi qu’il advienne.
Les transformations et les restaurations de l’époque moderne
Après la Révolution française, en 1792, l’ancien refuge de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi est vendu comme bien national. Dès lors, il connaît plusieurs vies au cours du XIXème siècle, devenant tour à tour hôtellerie, restaurant, puis imprimerie. Cette diversité d’affectations illustre l’adaptabilité de ce bâtiment aux changements de l’époque, tout en montrant comment le patrimoine religieux a été réapproprié pour de nouvelles fonctions. Cependant, cette réutilisation, associée au manque d’entretien, mène à la dégradation progressive des bâtiments.
Les premières parties s’effondrent au cours du XXe siècle, et il semble alors que l’ancien refuge soit destiné à disparaître complètement. C’est dans les années 1950 que survient un geste salvateur : les établissements Delattre Patoux utilisent le site comme dépôt et, ce faisant, empêchent sa destruction totale. Cette intervention inespérée sauve les ruines restantes et marque le début d’une prise de conscience sur la nécessité de préserver ce patrimoine unique. À partir de 1967, la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) d’Arras (qui vous propose notamment parmi ses services un accompagnement à la reprise d’entreprise) décide d’acquérir l’ensemble du refuge. La CCI finance ensuite la restauration des bâtiments, permettant de préserver ce témoin de l’histoire d’Arras.
Localisation :
Aujourd’hui, l’ancien refuge de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi reste un lieu chargé d’histoire, vestige d’un passé où le religieux et le civil étaient étroitement liés. Il nous rappelle la richesse du patrimoine architectural de la région et l’importance de la préservation de ces monuments pour les générations futures. Il est accessible en se rendant rue du Général Barbot, en passant par un porche menant au parking de la Chambre de Commerce.
R.C.